On peut déjà lire dans certains journaux que le marché immobilier résidentiel québécois s’est rééquilibré au cours des derniers mois. Il est vrai que les ventes ont passablement ralenti depuis la hausse abrupte des taux d’intérêt au printemps. En parallèle, le nombre de propriétés à vendre remonte, quoique de manière timide. Mais détrompez-vous : pour le moment, de manière générale, l’offre de propriétés à vendre est encore bien en deçà de la demande, de sorte que les vendeurs ont encore le plus gros bout du bâton lors des négociations.
Pour mesurer les conditions du marché, c’est-à-dire déterminer si le marché de la revente est équilibré, favorable aux acheteurs ou favorables aux vendeurs, les analystes utilisent habituellement le ratio inscriptions/vente en guise de ratio offre/demande. Bien sûr, plus le ratio est élevé, plus l’avantage est du côté de l’acheteur lors des négociations, et plus il est faible, plus ce sont les vendeurs qui ont cet avantage. On associe généralement un marché équilibré à un ratio entre 8 et 10. Or, après avoir atteint, pour le Québec, un creux historique de 2,3 à la fin de 2021, le ratio inscriptions/vente est remonté à 3,6 en juillet dernier[1]. Ceci indique normalement un marché où les vendeurs sont encore en position de force lors de la négociation de prix. Et dans les faits, c’est encore ce que l’on observe. Les offres multiples se font plus rares, mais elles n’ont pas disparu. Il y a aussi moins de propriétés qui se vendent au-dessus du prix demandé, mais cela demeure chose courante. Les acheteurs ont un peu plus de marge de négociation, mais il y a encore très peu de chances de voir un vendeur couper son prix.
Lien entre prix et conditions du marché
Comme vous vous en doutez, lorsque les conditions du marché avantagent les vendeurs (ratio inscriptions/vente < 8), normalement, les prix augmentent fortement; lorsque les conditions sont équilibrées (ratio inscriptions/vente entre 8 et 10), les prix n’augmentent que modérément et; lorsque les conditions avantagent les acheteurs (ratio inscriptions/vente > 10), les prix n’augmentent presque pas ou même diminuent.
Le graphique ci-dessous montre la relation entre le ratio inscriptions/vente et la croissance des prix (en rythme annuel) au cours des 18 derniers mois au Québec.
Le mouvement rapide des taux hypothécaires entraîne des distorsions
Bien que les données laissent assez bien voir cette relation inverse entre le ratio inscriptions/vente et la croissance des prix, le mouvement brusque des taux d’intérêt a sans doute brouillé les cartes, puisque l’amplitude des variations de prix apparaît anormalement élevée.
Nous venons de vivre un contexte bien particulier. À la suite de la pandémie de COVID, les taux hypothécaires cinq ans ont rapidement diminué pour atteindre un creux historique au printemps 2021. On pouvait alors obtenir une hypothèque pour un terme de cinq ans à moins de 2 %. Cela n’a pas seulement stimulé le nombre de transactions, cela a aussi considérablement « gonflé » le pouvoir d’achat des emprunteurs, ce qui en retour a alimenté une hausse de prix extraordinaire, qui a culminé à 32,6 % en avril 2021, du jamais vu, il va sans dire. À peine quelques mois plus tard, en raison d’une inflation galopante, les taux hypothécaires 5 ans ont plus que doublé. Au moment d’écrire ces lignes, les taux négociés se situaient aux alentours de 5 %, soit leur niveau le plus élevé en 13 ans. Cela est venu brusquement amputer le pouvoir d’achat des emprunteurs. Dans ce contexte, la croissance des prix est en train de chuter drastiquement. En données désaisonnalisées[2], qui permettent de comparer des mois consécutifs entre eux, le prix moyen a même légèrement reculé (-4,6 %) entre avril et juillet[3]. Or, des prix qui baissent dans un marché favorable aux vendeurs semble défier la logique. Mais force est de constater que cela est possible. La période d’exubérance fait maintenant place à une période de sobriété. Il n’en demeure pas moins que, pour le moment, le marché est bel et bien encore à la faveur des vendeurs.
[1] Correspond au « nombre de mois d’inventaire » en données désaisonnalisées (source : ACI).
[2] Des données désaisonnalisées sont des données que l’on a « corrigé » afin d’éliminer les effets saisonniers, c’est-à-dire des fluctuations qui surviennent habituellement au même moment à chaque année.
[3] Variation du prix moyen des propriétés au Québec, toutes catégories confondues, en données désaisonnalisées (source : ACI)